Trading des grains L'exceptionculturelle française
Dans l'univers du négoce international des grains, la France a la particularitéde disposer sur son sol de sociétés françaises bien établies qui cohabitentavec des multinationales sans implantation physique, ni dans la collecte,ni dans la logistique portuaire. Jusqu'à quand ? Le paysage se recompose...
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La France du trading des céréales est un peu comme le village d'Astérix. Avec un maillage d'irréductibles silos portuaires tout autour, bâtis pour valoriser sa production nationale et la protéger des envahisseurs. Quelques acteurs gaulois historiques ont su en effet verrouiller le marché français, former une sorte de ligne Maginot... laquelle n'empêche d'ailleurs pas les incursions des multi-nationales pour y faire leur marché.C'est toute la spécificité de la France en la matière : des sociétés nationales bien établies, privées ou coopératives, des champions français pour certains à dimension européenne, qui cohabitent avec des poids lourds : le fameux quatuor des « ABCD » et surtout, en France, Glencore.
Pour Stéphane Bernhard, directeur d'InVivo trading, « l'exception culturelle française n'est pas dans la présence forte de sociétés nationales, c'est aussi le cas en Ukraine ou en Australie, où les multinationales ont un poids très faible. » « Sa particularité précisément, constate Gautier Le Molgat, d'Agritel, c'est que les multinationales jouent un rôle assez prépondérant, elles ont des bureaux en France, mais n'ont aucun point d'ancrage, ni dans la collecte, ni dans les outils portuaires, et sont relativement peu présentes dans la transformation. » Un schéma que l'on retrouve dans certains pays d'Europe du Nord et de l'Ouest (Allemagne, Suède, Danemark).
« Le marché ne tourne pas rond »
« Dans les pays dits mûrs, rappelle Jean-Michel Aspar, du Synacomex, il y a des gros opérateurs locaux, coopératifs ou privés, qui tiennent le marché interne, et les multinationales viennent ensuite acheter en Fob (marchandise mise à bord du navire). » Tous les silos portuaires français appartiennent soit à des opérateurs nationaux privés, soit le plus souvent sont issus de la mutualisation d'acteurs coopératifs. Historiquement, la collecte française s'est organisée autour d'outils coopératifs qui ont eu une emprise très forte, dans un rôle de structuration de la filière française. Avec des flux réguliers issus de l'héritage colonial pour les faire tourner. Aujourd'hui, le territoire est assez bien couvert, il n'y a pas de place pour de nouveaux intervenants. En Asie, sur le continent américain, autour de la mer Noire, les géants du négoce investissent à grands frais dans les infrastructures portuaires. Mais pas en France... et ils s'en moquent car ce qui les intéresse, c'est l'accès aux marchés.« En France, le portuaire est ouvert à tous dans les mêmes conditions », pointe Jean-Philippe Everling. « C'est le seul pays au monde où les traders peuvent acheter par morceau et faire l'assemblage eux-mêmes », renchérit Stéphane Bernhard.
Mais cette spécificité, ne serait-elle pas finalement la perte de la France à l'export ?« L'exception française, c'est que le marché ne tourne pas rond, ironise un opérateur. C'est toujours très compliqué d'avoir des offres. En blé dur, c'est criant, ça ne marche pas du tout. En blé tendre, c'est un peu moins vrai, mais le marché français n'est pas fluide et trop atomisé. A moins de spéculer, il est difficile de vendre. » Et de laisser entendre que si les grandes maisons avaient les mains dans la collecte, ce serait sans doute différent. « En France, on a ce statut d'OS qui rajoute une complexité mais qui reste un atout », tempère Jean-Philippe Everling, en rappelant que les multinationales ont plutôt des comportements opportunistes. « Le schéma français est très efficace, soutient Baptiste Dufour, chez Cargill. Les acteurs nationaux contribuent à la liquidité et l'écart de prix entre le départ ferme et le portuaire est assez compétitif. » D'ailleurs, la France est classée n° 2 dans la veille concurrentielle blé tendre FranceAgriMer-Agrex consulting...
Le négoce dans le creux de la vague
Quoi qu'il en soit, les opérateurs sont amenés à se réinventer dans un secteur fortement chahuté, où beaucoup ont perdu de l'argent. Après des années prospères, le négoce international est dans le creux de la vague depuis la baisse des prix des céréales, il y a quelques années, et surtout la faible volatilité des cours. C'est qu'il a senti passer le souffle de la régulation financière qui renforce la transparence des transactions et muscle la répression des manipulations de marchés.Le métier de grand commerçant international, celui d'« équilibrer les déséquilibres » sur la - faible - fraction de la production échangée dans le monde (de l'ordre de 15 % en céréales), est fortement remis en question avec l'ampleur des stocks. Par ailleurs, tout le monde a accès à l'information de marché. Les grands du trading ont perdu cet avantage compétitif et sont conduits à réviser leur stratégie, cherchant par exemple à s'investir davantage dans la transformation.« La fonction historique du trader, acheter en Fob et vendre en Cif (prix qui comprend le transport par bateau jusqu'à la livraison), est sous pression », confirme Stéphane Bernhard. Certains parlent même d'un métier en voie d'extinction... Philippe Chalmin évoque, quant à lui, le retrait des négociants des marchés à terme et la financiarisation de ces derniers qui « produisent une décorrélation de plus en plus fréquente avec les marchés physiques, ce qui est particulièrement nocif.Qui sera correctement armé lors de la prochaine hausse durable des prix ? », s'interroge-t-il dans son dernier Cyclope 2018.
DOSSIER RÉALISÉ PAR RENAUD FOURREAUX
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